Plusieurs personne m'ont demandé de décrire ce saut, et voila ce que j'ai répondu. Voyez si vous êtes prêts à essayer ;o)
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Alors c'était au pont de Ponsonnat au sud de Grenoble. Il fait 103m, mais on ne tombe que de 80m. Ce qui est étonnant, c'est que la chute est très rapide (on dépasse les 100km/h !!!) mais on a le temps de tout analyser en détail à chaque instant de l'acte. - PDRM0682.JPG
Donc dans l'ordre : - Quand j'arrive sur le pont, je n'ai pas du tout peur, car je n'y ai pas du tout pensé avant. Je regarde par-dessus bord, et ça ne fait pas non plus peur, car j'ai l'habitude d'être très haut (escalade). On m'harnache, baudrier, jambières. - Les précédents sautent, ils sont 4 devant moi. Je les vois monter sur la rambarde et sauter, mais je ne les regarde pas sauter, pour me garder la surprise. - PDRM0684.JPG
- C'est mon tour : le gars semble un gros frimeur, mais il est fin psychologue, et sait juger et réconforter les hésitants. Je n'hésite pas, on se parle peu. Il m'explique qu'il faut pousser à donf sur les jambes. Ok. - PDRM0685.JPG
- Je monte sur le parapet, une main sur les cheveux du mec. Toujours pas peur. - PDRM0686.JPG
- Tout s'enchaîne. Le flot de paroles du mec et son décompte 3,2,1,go ne me laisse même pas le temps d'y réfléchir. - Je pousse à fond - Et là, petite pause. - PDRM0687.JPG
- J'ai encore le bout de mes chaussures sur le pont, et un gros paquet d'énergie musculaire me propulse en avant. Pas de retour possible. - Je regarde en bas, c'est très loin. - Je ne comprends pas pourquoi j'ai fait ça. Ce geste défie toute logique. Mon instinct de survie se rebiffe, et me tord les boyaux. Mon esprit de fonceur s'efface, et s'excuse de m'avoir entraîné ici, se cachant honteusement dans un coin de mon cerveau. Je suis presque en colère de ne pas m'être rendu compte de ce geste. Je me fais surprendre par un éclair de peur, masqué immédiatement par la surprise de se retrouver dans cette position. - Et puis la raison reprend le dessus, et déclare à tous les autres sentiments de retourner à leurs affaires, car de toute façon le geste est irréversible, et la seule chose à faire est d'attendre de voir ce qui va se passer. - Cela se passe maintenant : - D'abord, tout est très calme, pendant une dizaine de mètres, au cours desquels on accélère très peu, et on a l'impression de voler, sans contrainte, sans tension de l'élastique. C'est un moment délicieux. - PDRM0688.JPG
- Et en une fraction d'instant, la colère de la gravité se déchaîne, et fais accélérer le corps vers le bas à une vitesse surprenante : l'air rapide hurle dans les cheveux qui sifflent, les yeux se plissent, les bras écartés bravent le vent relatif, le fond du ravin fonce à toute allure vers ma tête ! Je ne crie pas, afin de pouvoir écouter le vent. - Cette course folle vers l'irraisonnable est soudainement freinée par une solide tension de l'élastique. Mes bras retombent vers le bas, le sang me monte puissamment à la tête, et je lâche un petit 'arghh' sous le coup de la pression. - Le premier rebond est un instant très flou. On sait que l'élastique a tenu, et selon toutes les probabilités techniques, il tiendra. On se relâche donc, et on lâche prise sur la réalité et l'analyse. - Euphorique, on se retrouve éjecté au sommet du premier rebond, profitant d'un bref instant de gravité zéro, un peu perdu dans cet élément qu'on n'apprivoisera jamais. - Puis on retombe assez doucement, et on recommence, le reste étant moins intéressant. - On se fait enfin mouliner au sol, où un gars nous détache, et nous congratule. - Il fait beau, je n'ai eu ni mal au dos, aux jambes au cœur, nulle part. - Je n'ai pas eu peur, par manque de temps. - Je remonte la pente, je regarde les suivants, me disant qu'il s'agit tout de même d'un acte très inhumain, très illogique. J'admire au passage la puissance d'abstraction de l'être humain, dont la confiance en la technologie permet de combattre l'instinct de survie, et de sauter dans le vide. - PDRM0690.JPG
- On repart, en silence. On n'a rien a dire. On a sauté, on n'a pas eu peur, c'était bien. - PDRM0691.JPG
Et la nuit suivante, je n'ai pas dormi. Ressassant sans cesse (allitération !) le pire moment de ce saut, lorsque les pieds sont encore en contact avec le pont, mais que le vide aspire déjà le corps. Cet instant est terrible, effrayant, et je comprends pourquoi les organisateurs débitent des flots de paroles quasi-hypnotisant. Merci les gars, c'est ce qu'il me fallait. - PDRM0692.JPG
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- Depuis, j'ai moins peur, et je pense que je prendrai du plaisir AUSSI à ce moment là. - PDRM0696.JPG
- J'y retourne dès que possible, avec qui veut.